À ceux qui nous ont offensés

Pour son premier long métrage, Adam Smithdécrit les tribulations d'une famille de nomades hors-la-loi et tente de concilier ses ambitions réalistes avec son é de clippeur.

A ceux qui nous ont offensés mise beaucoup sur ses interpètes pour incarner, sur trois générations, la complexité des conflits au sein d'une famille de pieds nickelés plus ou moins sympathiques. Le grand-père, un patriarche illettré et fier de l'être (Brendan Gleeson), règne depuis son fauteuil de jardin sur une bande de gitans irlandais spécialisés dans le cambriolage des manoirs de la région. Son fils Chad (Michael Fassbender) lui est loyal, mais cherche à s'en affranchir à la première occasion, comme en témoignent ses efforts pour donner à son fils (Georgie Smith) l'éducation que lui-même n'a jamais eue. Le seul sentiment partagé à l'unanimité par les membres de la communauté, c'est leur mépris pour la loi et pour ceux qui l'appliquent.

Pendant longtemps, le film donne l'impression d'un dérapage plus ou moins contrôlé dans sa recherche d'un équilibre entre la sensibilité du drame familial, le réalisme documentaire et l'excitation du thriller hors-la-loi. Les meilleurs moments surviennent lorsque Smith filme ses personnages en voiture, comme pour rappeler que les gens du voyage ne sont jamais aussi vivants que lorsqu'ils se déplacent. Au age, il ne peut pas masquer son savoir-faire de clippeur, notamment lors d'une mémorable course-poursuite nocturne, rythmée par la musique des Chemical brothers, auxquels il avait consacré un documentaire. La résolution, à la fois optimiste et lucide, lève le doute et emporte l'adhésion. 

Réalisé avec brio par Adam Smith, connu comme clippeur récurrent chez ces vieux routiers de l’électro, les Chemical Brothers, A ceux qui nous ont offensé fait partie de ces saisissants morceaux de cinéma britannique qui portent un regard incisif sur les marginaux. Dans ce sens, Smith s’éloigne peu des virulents polars sociaux made in UK. Dans sa noirceur atavique, sa radicalité de déterminisme, le film investit à son tour la « petite Britain » où ses protagonistes, une communauté gitane, volontairement en retrait de la société de Sa Majesté, vivent selon leurs propres règles, leur hiérarchie et leur culture, celle du larcin, d’une éducation qui se fait entre les murs du camp, loin de la réalité scolaire dont chacun refuse le joug.

Féru de liberté, dans une insouciance qui rime souvent avec l’autodestruction, le camp de gitans où est implantée l’action, est celui de personnalités fortes, incarnées par des acteurs puissants dans leur jeu, Brendan Gleeson en patriarche halluciné et Michael Fassbender, incandescent comme Daniel Day Lewis dans le culte Au Nom du Père. Les deux acteurs, de générations différentes, sont complémentaires, animés par l’amour filial et paternel, et des sentiments universels, les déceptions, et l’aliénation qui en résulte.

Fassbender, physique, est aussi au sommet dans son imprégnation psychologique. Appelé à succéder à l’autorité suprême, le fils du roi essaie de s’extirper de l’emprise accablante du père pour donner une chance à ses propres enfants dans une société où il doit se battre pour qu’ils puissent avoir un jour une place. Cette volonté d’échappatoire se fait au prix d’une déchirure douloureuse, tant le poids des traditions est ici destructeur ; le repli communautaire précipite ses membres dans une ime d’ignorance, où l’on revisite les vérités générales, la terre redevient plate et les mots ne peuvent être que verbaux dans un monde où l’on ne sait pas lire.

Œuvre tortueuse qui préfère à la violence graphique de la plupart des standards du genre les déchaînements de conscience, Ceux qui nous ont offensé confronte des tempérament ardents, sans complaisance. Le film de casse est surtout une grande œuvre dramatique que n’aurait pas reniée Shakespeare dans sa fascination pour les royaumes déliquescents où le fils poignarde le père à moins que le patriarche, menacé, ne frappe lui-même son engeance le premier. Avec sa réalisation inspirée et son final poétique cathartique, ce spectacle viril est une brillante introspection familial au-delà des communautés, qui saura parler à tous les aliénés du sang que nous sommes.