Il y a des jours... et des lunes

" (...) Dans ce film en forme de lune, les personnages tournent en rond, dans une sphère fermée jusqu’à ce laisser happer en spirale au point de rencontre finale. Le jeu reste romanesque. La responsable du mouvement est la pleine lune. Dans l’hindouisme, la sphère de la lune est l’aboutissement de la vie des ancêtres, aime à rappeler Claude Lelouch. Et les jours de pleine lune, il faut boire beaucoup d’eau, éviter de la regarder pour ne pas être aspiré. Les bébés pleurent, les femmes perdent le nord, les médecins le bistouri. On tue plus que d’habitude, on s’aime mieux que d’ordinaire. On se quitte pour toujours. Jalouse du soleil, l’astre des nuits attise les ions. C'est Paul Préboist qui se fait ainsi le prophète ésotérique dans un prologue irrésistible qui annonce la couleur.

Sur le motif de l’heure d’été, tout se déclenche. Une heure de plus ou de moins, et la vie change pour une rendez-vous décalé, un avion raté, une inconnue qui surgit là où elle n’aurait pas dû être. Ainsi la valse des hasards nourrit-elle le scénario autour de couples qui se font et se défont sous l’effet de la pleine lune et sur fond, néanmoins optimiste, d’une Normandie aux couleurs anniversaires de la Libération. Lelouch, lui-même sous influence astrale, est prisonnier du cycle, infernal, tournant sans relâche autour de ses thèmes favoris, sans trop se livrer davantage. Porté vers l’éloge sentimental, il a rassemblé avec amour ses comédiens de toujours. Et comme les saltimbanques d’une même troupe, chacun défile et délire sous la lune et sur le leitmotiv de " il y a des jours, il faudrait... d’autres, il vaudrait mieux pas ".

C’est un peu lancinant à la longue, sauf quand e Annie Girardot, drôle, émouvante par tempérament, ou Patrick Chesnais imprévisible à souhait Anouk Aimée, Nicole Croisille, Serge Reggiani bien d’autre encore, traversent le film comme pour te marquer du souvenir, comme par superstitition. Il sort un jour de pleine lune, et là ce n’est plus un hasard. "

" Fait divers : au cours d’une altercation entre automobilistes, l’un a poignardé l’autre. La victime est morte avant l’arrivée des secours. Claude Lelouch s’empare d’une de ces dépêches lapidaires qui alimentent la page " Infogéné " des journaux, et de ce point fixe qui fera la dernière minute du film, il remonte en l’inventant le courant de l’histoire. Les courants plutôt, l’écheveau de trajets individuels entrelacés où la pleine lune et le hasard, le mal de vivre et le changement d’heure printanier sont les petits ou gros rouages d’une mécanique fatale et banale.

Combien de gens auront ri et pleuré, se seront aimés et quittés pour que, un mauvais jour, un peu de sang salisse un trottoir ? Belle idée de conteur qui cherche derrière un petit incident un grand pan d’histoire d’humains, et affirme que cette histoire mérite d’être dite. Claude Lelouch n’est jamais aussi bien à son affaire que dans ces partitions à multiples voix dont il organise les solos, les duos et les chœurs. Manipulateur ? Sans doute. Mais il a l’élégance, et l’arrogance, de montrer les ficelles en même temps qu’il les tire, d’être partout présent dans le film, jouant les démiurges, tour à tour facétieux et terrible. Quand la virtuosité du filmeur s’accorde au plaisir de raconter, le " système Lelouch " convainc et émeut. Et, cette fois, Claude Lelouch était, lui, dans un bon jour. "

" (...) Itinéraire d'un enfant gâté constituait, on l’avait dit, le tournant de la cinquantaine. Cela se confirme. Lelouch ne s’est pas embarqué dans des aventures gratuites. Il parle, à nouveau discrètement, de réincarnation, et, surtout, il dit, il montre que l’amour et le mariage ne doivent pas être pris à la légère. Ici, sa caméra est plus sage, en dépit de quelques morceaux de bravoure étincelants.

Lelouch a pris le temps de filmer les gestes, les visages, la vérité des êtres (ainsi, pour ne citer que celle-ci, la scène de rupture entre Marie-Sophie L. et Patrick Chesnais est-elle d’une réalité psychologique irablement juste). Il a réalisé une œuvre attachante, dramatique par moments, mais ouverte sur l’avenir. Une œuvre sur le déterminisme des comportements humains (thème récurrent depuis Partir revenir) dont le scénario et la mise en scène sont minutieusement ajustés sur les hypothèses de choix de la vie réelle. "

Ce nouveau film est le 31ème du réalisateur, tourné paraît-il en 31 jours pour les trente ans des Film 13, sa propre maison de production. Impossible de présenter tous les personnages. Certains sont seuls, comme ce retraité qui, en préambule, nous tient un long discours sur l’influence de la lune (c’est Paul Préboist), ou ce prêtre (Francis Huster, à qui José Artur dit qu’il ressemble à Gérard Philipe) homosexuel, ou ce chanteur paumé (Léotard) qui a besoin de parler à la femme de ménage de son hôtel, ou, encore, cette femme si sage (Annie Girardot) qui pourtant pleure, devant une omelette géante, parce qu’elle a perdu sa fille et qu’elle ne peut plus être heureuse. D’autres sont en couple, tous, ici, (sauf le plus âgé, Serge Reggiani, et Véro­nique Silver) en crise.

Une crise que la pleine lune fera le plus souvent éclater.... Au début, on s’y perd. Puis, peu à peu, la ronde s'organise, le camionneur (Gérard Lanvin), le restaurateur (Vincent Landon), le médecin (Patrick Chesnais) se font plus proches, et l'on parvient à se raccrocher au fil d’Ariane d’un Lelouch toujours obsédé par les mêmes thèmes, le bonheur, l’amour, la mort, le temps qui donc e et ne revient pas, mais aussi l’irrationnel, qui joue avec les hommes et les femmes , pour faire de leur vie un destin.

Très compliqué, le puzzle, finalement, s’assemble, et l’on s’aperçoit que Lelouch, une fois de plus très ambitieux (mais moins... philosophico-cosmogonique que parfois) a, finalement, parfaitement maîtrisé la construction de son scénario. II y a des chansons, tout au long du film, qui deviennent trop envahissantes, et des vertiges automobiles que l’on a décidément trop vus. Mais aussi de l’humour, de l’émotion, et quelques instants de grâce fragile comme seul Lelouch sait les happer. Et l’on sort de cette fantasia audacieusement polyphonique étourdi, certes, mais plutôt séduit.

Il y a des jours comme ça... où le cinéma déraille de ses couloirs et de ses griffes, où il s’énerve dangereusement, où il n’en fait qu’à sa tête. «Tourné en trente et un jours », raconte Lelouch, ce trente et unième film — pour les trente ans des Films 13 — n'a jamais cessé d'aller plus vite que son ombre. J'avais connu d'autres urgences et j'en garde de bons souvenirs : « Un homme et une femme», vingt-six jours; La Bonne Année, vingt-huit; Smic Smac Smoc, sept.,. Pour Il y a des jours.., et des lunes, j'ai même commencé le tournage avant d'y penser... Nous sommes en mars et nous ons à l'heure d’'été. Une heure en moins et l'on rate un avion, une affaire, la femme de sa vie. En plus c'est la fameuse pleine lune. Les comportements sont exacerbés, tendus et la mauvaise humeur se répand comme une épidémie...»

On peut comprendre que le film se soit mis au diapason de cette mauvaise humeur. Il refuse de s'expliquer, il procède par éclats, il se retranche sur lui-même, il fait des confidences à une inconnue, il a envie de pleurer brusquement, ou de danser ou de rire, ou de délirer obscurément sur le point de savoir si cet autocar poussif transportant une troupe de comédiens peut déer ou non les 100 kilomètres à l’heure... Ce film-là est aussi sincère que la quinzaine de personnages, qui deviennent principaux dès lors qu'ils sont à l’image. Conduit par son instinct - ou par une intelligence qui, tout de même, en trente ans a eu le temps de s'affirmer – Lelouch n'a choisi que des comédiens suscep­tibles d’incarner des stars au sein de leur propre histoire. Il est assez beau, par dessus le marché, de les voir déployer ensemble le registre entier de l'amertume et du désenchantement.

Il y a des jours... et les lunes possède ainsi la saveur paradoxale des alcools amers. Voilà un film qui vous stimule au moment même où il devrait vous accabler. Rien n’est plus bête, ni plus exaltant en même temps, que cette humeur d'impatience que la pleine lune instille insidieusement dans nos esprits.